Allégations: Les organisations plaignantes allèguent le refus du ministère du
Travail d’enregistrer un syndicat, et des licenciements antisyndicaux de la part de la
présidence de la République
- 309. La plainte figure dans une communication datée du 11 mai 2022,
présentée par l’Internationale des services publics (ISP) et la Confédération nationale
des fonctionnaires de l’Équateur (CONASEP).
- 310. Le gouvernement de l’Équateur a envoyé ses observations concernant
les allégations dans trois communications datées du 3 février et du 27 avril 2023, et du
10 janvier 2024.
- 311. L’Équateur a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 312. Dans leur communication du 11 mai 2022, les organisations
plaignantes indiquent que, le 19 septembre 2020, le Syndicat des travailleurs de la
présidence de la République de l’Équateur («le syndicat») s’est constitué moyennant
l’affiliation de 34 travailleurs et que, le 21 septembre 2020, les documents attestant
la création du syndicat ont été transmis au ministère du Travail («le ministère») aux
fins de l’ouverture de la procédure d’enregistrement. Elles affirment cependant n’avoir
reçu aucune réponse de la part du ministère, en dépit du changement de l’État survenu en
mai 2021.
- 313. Les organisations plaignantes font savoir que le 3 septembre 2021,
M. César Estrella Proaño, secrétaire général du syndicat, a engagé auprès du Tribunal du
contentieux administratif du district métropolitain de Quito une procédure d’exécution à
l’encontre du ministère du Travail et du Procureur général de l’État, en raison du
silence de l’administration.
- 314. Les organisations plaignantes affirment que, le 28 décembre 2021,
sous le couvert d’un processus de restructuration et d’optimisation des ressources
humaines, la présidence de la République a procédé au licenciement surprise de
26 travailleurs, dont 11 étaient des membres fondateurs du syndicat. Selon elles, même
si aucun des travailleurs licenciés ne fait partie du comité exécutif élu, les
licenciements visent à neutraliser et à faire disparaître le syndicat, dont la
reconnaissance dépend désormais du bon vouloir du gouvernement – étant donné que la
formalité prescrite par la loi selon laquelle il faut au minimum 30 travailleurs pour
créer un syndicat n’est plus respectée. Les organisations plaignantes demandent la
reconnaissance et l’enregistrement du syndicat, ainsi que la réintégration des
11 syndicalistes licenciés.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 315. Dans sa communication datée du 3 février 2023, le gouvernement
indique que, à la suite du changement de gouvernement survenu le 24 mai 2021, il a été
constaté l’existence de plus de 2100 procédures relatives à la création d’organisations
syndicales, à l’enregistrement de comités exécutifs, à l’inclusion et à l’exclusion de
membres des syndicats et à des changements de statuts, procédures qui n’avaient pas été
traitées en temps utile par les autorités précédentes. Le gouvernement assure néanmoins
qu’à partir de cette date, la nouvelle administration a commencé à traiter les dossiers
sans délai, dans l’ordre chronologique.
- 316. Le gouvernement signale en outre qu’entre 2020 et 2022 une série de
décrets exécutifs ont été publiés afin de suspendre les délais de traitement de
l’ensemble des procédures administratives connues du ministère, en raison de la pandémie
de COVID 19 et des pics élevés de contagiosité ayant touché les institutions publiques
et privées du pays. Il indique que, en plus de cet arriéré, un grand nombre de nouvelles
procédures parviennent chaque jour à la Direction des organisations syndicales du
ministère, mais que, en dépit du peu de fonctionnaires disponibles, un gros travail est
fourni pour rattraper le retard. Le gouvernement insiste sur le fait que les retards de
traitement ne résultent pas d’une négligence ou de la volonté délibérée de
l’administration actuelle.
- 317. En ce qui concerne la procédure datant du 21 septembre 2020, par
laquelle le syndicat avait demandé l’approbation de ses statuts et l’octroi de la
personnalité juridique, le gouvernement indique que le 24 septembre 2020, l’inspection
du travail de Pinchada a commis une erreur portant sur l’identification de l’employeur
concerné dans le cadre de la procédure d’enregistrement. Il fait savoir que cette erreur
avait été corrigée à la suite à la publication d’un rapport daté du 2 février 2022, mais
que la procédure en question était alors examinée par la justice en raison du recours
formé par le syndicat.
- 318. Dans ses communications du 27 avril 2023 et du 10 janvier 2024, le
gouvernement indique que, par décision du 11 novembre 2022, le Tribunal du contentieux
administratif du district métropolitain de Quito a ordonné l’enregistrement du syndicat.
Le gouvernement fait savoir que le ministère a déposé un recours en interprétation et en
rectification de la décision, en faisant valoir que celle-ci était inapplicable
puisqu’elle contrevenait à la loi, étant donné que les obligations matérielles
prescrites pour la constitution d’une organisation syndicale n’avaient pas été remplies.
Le tribunal a rejeté ledit recours par ordonnance du 19 janvier 2023. Le gouvernement
fait savoir que le ministère a formé un pourvoi en cassation contre ce jugement, et que
le Tribunal du contentieux administratif du district métropolitain de Quito a rejeté ce
recours le 14 avril 2023.
- 319. Le gouvernement indique que le ministère s’est conformé aux
décisions judiciaires susmentionnées, puisqu’il a ordonné l’enregistrement des statuts
du syndicat et a octroyé à celui ci la personnalité juridique le 21 novembre 2023,
enregistrant également la liste de ses 39 membres. Le gouvernement ajoute que le
ministère a procédé à l’enregistrement du comité exécutif du syndicat le 2 janvier
2024.
- 320. Pour ce qui est des licenciements antisyndicaux présumés, le
gouvernement affirme qu’aucune plainte pour licenciement antisyndical ni pour un
quelconque autre motif n’a été déposée contre la présidence de la République de la part
des travailleurs licenciés le 28 décembre 2021.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 321. Le comité note que, dans le présent cas, les organisations
plaignantes allèguent le refus du ministère du Travail d’enregistrer le Syndicat des
travailleurs de la présidence de la République de l’Équateur, ainsi que le licenciement
antisyndical de 11 travailleurs qui étaient des membres fondateurs dudit syndicat par la
présidence de la République. Le comité note en outre que, pour sa part, le gouvernement
fournit des informations sur les procédures administratives et judiciaires ayant abouti
à l’enregistrement du syndicat le 21 novembre 2023, et nie par ailleurs le caractère
antisyndical des licenciements des travailleurs.
- 322. Le comité prend note des indications des organisations plaignantes
selon lesquelles: i) le 19 septembre 2020, 34 travailleurs de la présidence de la
République ont fondé le syndicat; ii) le 21 septembre 2020, les documents attestant la
création du syndicat ont été transmis au ministère aux fins de l’ouverture de la
procédure d’enregistrement; iii) le 3 septembre 2021, devant l’absence de réponse du
ministère, le syndicat a engagé auprès du Tribunal du contentieux administratif du
district métropolitain de Quito une procédure d’exécution motivée par le silence de
l’administration; iv) le 28 décembre 2021, la présidence de la République a licencié
26 travailleurs, dont 11 membres fondateurs du syndicat, sous le couvert d’un processus
de restructuration visant à optimiser les ressources humaines; et v) ces licenciements
visent à neutraliser et à faire disparaître le syndicat, étant donné qu’ils l’empêchent
de respecter l’obligation légale relative au nombre minimum de 30 membres exigé pour la
constitution d’une organisation syndicale.
- 323. Quant au prétendu refus du ministère d’enregistrer le syndicat, le
comité note que, pour sa part, le gouvernement affirme ce qui suit: i) ces dernières
années, du retard a été pris par le ministère dans le traitement des procédures
administratives en raison de la pandémie de COVID 19, du nombre élevé de dossiers et du
manque de personnel; ii) ces retards ne sont pas le fruit d’une négligence et sont
indépendants de la volonté du nouveau gouvernement, qui a pris ses fonctions en mai 2021
et a immédiatement commencé à traiter les dossiers en souffrance; iii) au cours de la
procédure d’enregistrement du syndicat, en septembre 2020, l’inspection du travail de
Pichincha a commis une erreur portant sur l’identification de l’employeur, et cette
erreur a été rectifiée en février 2022, alors que la procédure était déjà en cours
d’examen par la justice; iv) par décision du 11 novembre 2022, le Tribunal du
contentieux administratif du district métropolitain de Quito a ordonné l’enregistrement
du syndicat; v) le ministère a déposé un recours en interprétation et en rectification
de la décision, en faisant valoir que celle-ci était inapplicable étant donné que les
obligations matérielles prescrites pour la constitution d’une organisation syndicale
n’avaient pas été remplies, et le tribunal a rejeté ledit recours par ordonnance du
19 janvier 2023; vi) le ministère a formé un pourvoi en cassation, que ce même tribunal
a rejeté le 14 avril 2023; et vii) le ministère a enregistré le syndicat le 21 novembre
2023, et le comité exécutif de celui ci le 2 janvier 2024.
- 324. Tout en notant que le gouvernement indique que plusieurs éléments –
dont la pandémie de COVID 19, le manque de ressources au sein du ministère et une erreur
commise par l’inspection du travail – ont participé au retard de traitement de la
demande d’enregistrement du syndicat, et que le ministère a ensuite présenté un recours
visant à contester la décision judiciaire relative à l’enregistrement prononcée le
11 novembre 2022, considérant que celle-ci était inapplicable puisqu’elle contrevenait à
la loi étant donné que les obligations matérielles prescrites pour la constitution d’une
organisation syndicale n’avaient pas été remplies, le comité rappelle qu’une longue
procédure d’enregistrement constitue un obstacle sérieux à la création d’organisations
et équivaut à un déni du droit des travailleurs de créer des organisations sans
autorisation préalable. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté
syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 463.] Il rappelle en outre que les
formalités prescrites par la loi pour créer un syndicat ne doivent pas être appliquées
de manière à retarder ou à empêcher la formation des organisations syndicales, et tout
retard provoqué par les autorités dans l’enregistrement d’un syndicat constitue une
violation de l’article 2 de la convention no 8. [Voir Compilation, paragr. 427.]
Prenant bonne note de l’indication du gouvernement selon laquelle le syndicat a
finalement été enregistré le 21 novembre 2023, le comité s’attend à ce que les critères
susmentionnés soient dûment pris en compte à l’avenir.
- 325. Le comité note également que: i) selon les organisations
plaignantes, l’obligation relative au nombre minimum de 30 travailleurs exigé pour
constituer une organisation syndicale n’a plus été remplie à la suite du licenciement de
11 membres du syndicat, le 28 décembre 2021; et ii) le gouvernement a invoqué le non
respect des obligations matérielles dans sa contestation de la décision judiciaire
relative à l’enregistrement datée du 11 novembre 2022. À cet égard, le comité rappelle
qu’il a déjà eu l’occasion d’indiquer, dans le cadre d’autres cas concernant l’Équateur
[voir le rapport no 371, cas no 2928, mars 2002, mars 2014, paragr. 316], que le nombre
minimum de 30 travailleurs requis par le Code du travail pour constituer un syndicat
devrait être réduit. Rappelant en outre les demandes répétées de la Commission d’experts
pour l’application des conventions et recommandations dans ce sens, le comité prie de
nouveau le gouvernement de prendre les mesures nécessaires, en consultation avec les
partenaires sociaux, pour modifier les dispositions du Code du travail qui prévoient
cette obligation et pour assurer la protection des travailleurs contre tout acte de
discrimination antisyndicale.
- 326. En ce qui concerne les allégations de licenciements antisyndicaux,
le comité prend note que les organisations plaignantes affirment qu’il a été procédé aux
licenciements pour faire en sorte que le syndicat ne dispose pas d’un nombre suffisant
de membres pour être enregistré. À cet égard, il rappelle que, lorsqu’elles sont saisies
de plaintes en discrimination antisyndicale, les instances compétentes doivent mener
immédiatement une enquête et prendre les mesures nécessaires pour remédier aux
conséquences des actes de discrimination antisyndicale qui auront été constatés. [Voir
Compilation, paragr. 1159.] Le comité note également que le gouvernement, quant
à lui, indique que les travailleurs licenciés le 28 décembre 2021 n’ont déposé aucune
plainte relative à leur licenciement. Observant que les organisations plaignantes ne
font état d’aucun recours qui aurait été présenté dans le but de contester la validité
des licenciements en question, et ne font référence à aucun motif ou circonstance ayant
empêché les travailleurs d’engager une telle action, le comité ne poursuivra pas
l’examen de ces allégations.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 327. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité s’attend
à ce que les critères relatifs à la procédure d’enregistrement des organisations
syndicales mentionnés dans les conclusions soient dûment pris en compte à
l’avenir.
- b) Le comité prie de nouveau le gouvernement de prendre les
mesures nécessaires, en consultation avec les partenaires sociaux, pour modifier les
dispositions du Code du travail qui exigent un nombre minimum de 30 travailleurs
pour constituer un syndicat et pour assurer la protection des travailleurs contre
tout acte de discrimination antisyndicale.
- c) Le comité prie le gouvernement
de veiller à ce que, lorsqu’elles sont saisies de plaintes en discrimination
antisyndicale, les instances compétentes mènent immédiatement une enquête et
prennent les mesures nécessaires pour remédier aux conséquences des actes de
discrimination antisyndicale qui auront été constatés.
- d) Le comité
considère que le présent cas n’appelle pas un examen plus approfondi et qu’il est
clos.